HISTOIRE

Les Saisies ont 60 ans : comment un petit col alpin est devenu une grande station de ski

La station des Saisies fête en 2024 ses soixante ans d'existence. Une aventure au long cours, marquée par l'histoire petite et grande, et par les hommes et femmes qui ont façonné la station du Beaufortain. Du tout premier refuge créé ici par un moniteur de ski autrichien, Erwin Eckl, à la station d'aujourd'hui, en passant par la parenthèse olympique de 1992, découvrez son épopée.

1935-1960 : l’ère des pionniers

L’aventure « Eckl »

Il a l’allure élégante des moniteurs de ski d’autrefois : un pantalon de style « golf » soigneusement rentré dans des chaussettes hautes, des chaussures de montagne en cuir et le teint hâlé des arpenteurs du grand blanc. Erwin Eckl est arrivé de son Tyrol natal dans le Beaufortain en 1935. Moniteur de ski, il est chargé d’enseigner ce nouveau sport à la mode aux clients de l’hôtel du Mont-Joly à Hauteluce. Sous le charme de la région, il explore inlassablement le massif et découvre le vaste plateau du col des Saisies, ses étendues immaculées, ses pentes qui guident en douceur au sommet du Mont-Bisanne et son panorama circulaire sur quelques-uns des plus beaux massifs alpins : le Beaufortain, le Mont-Blanc, les Aravis, les Bauges, la Lauzière, jusqu’à la chaîne de Belledonne.

Le plateau est alors un lieu d’estive important, parsemé de chalets d’alpage qui prennent vie à la belle saison. Deux buvettes accueillent les alpagistes, les randonneurs et les cueilleurs de passage. L’hiver l’emmitoufle dans le silence et le blanc. Erwin Eckl y voit le lieu tout désigné d’un développement touristique. Il se lance dès 1936 et ouvre un chalet-hôtel qui accueillera les tout premiers skieurs, dans une ambiance simple et rustique. Le chalet ne comporte que quelques chambres, un dortoir et une vaste salle commune, mais le succès est au rendez-vous. Comme en témoigne Yvette Braisaz, qui figurait parmi les premiers employés de l’hôtel : « Bien souvent, on manquait de chambres pour loger les clients. Alors ils dormaient par terre sur des matelas, dans la salle à manger ! Mais quelle ambiance ! Ils fartaient même leurs skis dans la cuisine ! » (in La Saga des Saisies).

La montagne vierge comme horizon

Aucune remontée mécanique n’équipe encore le col des Saisies, mais Erwin Eckl dispose d’un incroyable terrain de jeu où il entraîne ses élèves en ski de randonnée. Le Mont-Bisanne, la Légette, le Char du Beurre, jusqu’au village de Megève qu’on atteignait après une belle traversée le long des Crêtes. Il faut attendre 1951 pour voir le premier câble de téléski tiré au-dessus des alpages du col.

Malgré sa réputation croissante, portée par un enneigement toujours abondant, et l’enthousiasme sans faille d’Erwin Eckl, l’activité touristique du col des Saisies ne décolle pas. On compte alors deux autres établissements sur le plateau : l’hôtel Le Signal de Bisanne au hameau des Pémonts et le thé-bar de la famille Lenoir.

1960-1980 : le temps des bâtisseurs

La naissance du projet de station

« Le projet des Saisies est né du constat de l’exode rural, qui frappait le Beaufortain comme d’autres territoires de montagne. Il fallait trouver une activité pour permettre aux habitants de vivre et travailler au pays » indique Jean-Luc Combaz, actuel Président du Sivom des Saisies.

Le ski est pourtant entré très tôt dans la vie des habitants du Beaufortain. Le club « Les Intrépides des Alpes » organise des courses de ski à Hauteluce dès 1913. Des jeunes skieurs de Villard-sur-Doron ont fondé le ski-club du Chardonnet en 1958. « Pour s’entraîner, on montait à pied » se souvient Claude Pichol-Thiévend, skieur de la première heure, qui a consacré sa vie professionnelle à l’exploitation du domaine skiable des Saisies. « On nous conduisait en voiture sur les courses de ski un peu partout, et on revenait nous chercher le dimanche soir. Le lendemain, on retournait à l’école, skis aux pieds si c’était possible ».

C’est René Lagier, tout juste élu maire d’Hauteluce, qui s’attèle au projet de station de ski. Le col des Saisies est rapidement choisi comme lieu d’implantation, servi par une route goudronnée. Pour porter son projet, le maire d’Hauteluce se tourne vers les autres communes qui ont emprise sur le site : Villard-sur-Doron, Crest-Voland et Cohennoz. Ensemble, elles forment le Syndicat intercommunal du col des Saisies, un organisme qui a pour fonction de mener les études nécessaires pour l’implantation d’une station de ski.

Soutenu par Pierre Dumas, député de la Savoie et conseiller général du Beaufortain, ainsi que par le service des Ponts et Chaussées, les travaux sont lancés et la station du col des Saisies ouvre officiellement en décembre 1963. Avec un succès imprévisible ! Cette année-là, le manque de neige frappe les Alpes et les stations sont, pour la plupart, fermées. A l’exception du col des Saisies qui ouvre son téléski de Bisanne. Les skieurs affluent, la queue s’allonge sur des centaines de mètres. « J’étais venu aider aux remontées mécaniques parce qu’ils étaient débordés, raconte Claude Pichol-Thiévend. On m’avait placé un peu plus haut sur le tracé du téléski pour empêcher les resquilleurs qui poussaient les skieurs pour leur piquer les perches ! ».

Un modèle de développement atypique

Les premiers bâtiments sortent de terre : le Mirantin et la résidence Plein Soleil, qui seront suivis par le VVF de la Forêt en 1967. Un quartier de chalets est aménagé pour accueillir les employés de la station. Albertine Vionnet se souvient avec nostalgie de cette époque. « J’étais agricultrice à Hauteluce et René Piccard est venu me voir pour me proposer le poste de secrétaire à l’école de ski. Pour moi qui venais du fond de Belleville, où on ne connaissait rien au ski, la décision n’a pas été facile. Mais j’ai finalement dit oui et me suis retrouvée aux Saisies. » Elle emménage dans l’un de ces petits chalets. « Il neigeait tellement à cette époque qu’il nous arrivait d’ouvrir la porte du chalet et la neige s’engouffrait à l’intérieur ».

La station, contrôlée par les élus locaux et les services de l’Equipement, détonne dans le paysage du Plan Neige, qui vise à développer les stations de ski dans les massifs français. Le modèle de développement courant est alors celui du promoteur-aménageur tout puissant, agissant au sein d’un groupement privé.

Jean-Luc Combaz analyse : « Les premières constructions étaient très éloignées du modèle des stations-villages que nous connaissions. Et beaucoup de problèmes de construction sont apparus du fait de cette architecture inédite. Mais notre chance, c’est que les élus, les gens du coin, avaient la maîtrise foncière, et la volonté de ne pas laisser faire n’importe quoi. Des promoteurs se sont enchaînés sur le projet des Saisies, en proposant des petites unités respectueuses du style local ». Les Saisies tracent leur chemin, loin du bétonnage de l’époque. Le résultat est une station à l’allure de grand village, s’étalant le long de la route qui mène au col, et dénuée de bâtis imposants qui pourraient évoquer un site urbain.

1980-2005 : la conquête des skieurs

Un domaine skiable toujours plus vaste

En parallèle à la construction de la station, le domaine skiable a pris de l’ampleur. Après le Mont Bisanne, les secteurs de la Légette et du Char-du-Beurre sont équipés. Et pour attirer les skieurs, Les Saisies peuvent compter sur un enneigement important. Le Beaufortain a la réputation d’être un « grenier à neige » et la station bénéficie de son lot de flocons chaque hiver. Ce que souligne Albertine d’une phrase implacable : « s’il n’y pas de neige ici, c’est qu’il n’y en a nulle part ailleurs » !

En 1985, le domaine skiable des Saisies est relié aux pistes de Crest-Voland, la station voisine du Val d’Arly, également commune membre du Sivom. Le nouveau domaine relié prend le nom de « Espace Cristal ». Il s’agrandit encore en 2005 en joignant les pistes de Notre-Dame-de-Bellecombe, Flumet et Praz-sur-Arly, pour former le grand domaine Espace Diamant que l’on connaît aujourd’hui.

Sous les projecteurs

Pour une station de ski en plein essor, la reconnaissance médiatique est essentielle. Et quel meilleur moyen, pour faire briller la station, que d’en porter les couleurs sur les pistes du monde entier ? Franck Piccard sera son porte-drapeau. Il a fait ses classes au ski-club des Saisies, avant d’intégrer l’équipe du Comité de Savoie puis l’équipe de France de ski alpin. En 1988, il décroche l’or olympique sur l’épreuve de Super G des Jeux Olympiques de Calgary, et l’accompagne d’une médaille de bronze en descente. Un exploit qui attire tous les regards sur Les Saisies.

En 1992, les Jeux Olympiques, encore, ont rendez-vous avec Les Saisies. La station du Beaufortain se voit attribuer les compétitions nordiques des JO d’Albertville. En tout, seize épreuves de ski de fond et de biathlon se dérouleront sur le domaine nordique, spécialement redessiné pour offrir un haut niveau de spectacle. La médaille d’or française dans l’épreuve du relais féminin de biathlon résonnera longtemps dans les mémoires du public présent ce jour-là.

Aujourd’hui, Les Saisies approchent du terme de leur aménagement et ouvre un nouveau chapitre : celui de la consolidation. « Il n’est pas question de courir après un développement à outrance, assure Jean-Luc Combaz. Quelques projets limités sur des terrains cédés anciennement verront le jour, mais aucun aménagement de grande ampleur. Notre objectif est de moderniser certains équipements publics, d’oeuvrer pour la diversification des activités et d’offrir à la population locale des opportunités d’installation”. Un programme sage, pour une station à laquelle on souhaite un long et bel avenir.

Fête des 60 ans

Les Saisies valent bien une fête ! Venez célébrer les 60 ans de la station le mercredi 21 février, en présence des pionniers d’hier et des acteurs d’aujourd’hui. Un mapping permettra de revivre en images et en musique les temps forts de l’histoire de la station. Programme des 60 ans.

Merci à Albertine Vionnet-Fuasset, Jean-Luc Combaz, Félix Cuvex-Combaz et Claude Pichol-Thiévend d’avoir partagé un peu de leur histoire avec Les Saisies. Et à Pascal Meunier qui raconte la station avec passion dans La Saga des Saisies, Ed. La Fontaine de Siloé, 1999.

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